Carte blanche à
Sylvie Dargery

DELEGUEE POUR LES ALPES-MARITIMES
J'aime trop la vie pour en gâcher la fin. La mort, je l’ai côtoyée pendant mes études de médecine. Mort médicalisée, empêchée, volée. Un jour un patient âgé m’explique lucidement le pronostic pessimiste de son cancer. Transféré en réanimation, il souffre malgré les cocktails d’analgésiques. Il exprime clairement son désir de mourir, arrachant à plusieurs reprises les dispositifs médicaux, en vain car reliés à des alarmes. Il est emprisonné dans la vie.
Les médecins en ont décidé ainsi. Un matin, le chef de service décidera, à mots couverts, de l’aider à mourir. La parole du patient, on l’aura ignorée pendant plusieurs semaines. Pendant les études de médecine, on ne parle pas de la mort sauf en médecine légale. La mort est taboue, ressentie comme un échec. La médecine est faite pour guérir. On nous a appris à prendre de la distance, à ne pas être empathique afin de garder notre faculté d’analyse. Je retrouve la mort plus tard. Mon père, atteint de vieillesse, cet état chronique et incurable, fait une tentative de suicide. Il ne veut pas gâcher sa belle vie par une fin faite de médiocrités et de souffrances. Les petits plaisirs ne parviennent plus à lui insuffler un désir de vie. Il me demande de l’aider, ce que j’accepte par humanisme et respect. Je découvre alors la difficulté pour mourir sereinement en France. J’achète des médicaments, mais mon époux me fait prendre conscience des conséquences psychologiques et légales d’un tel acte. Mon père fera quatre vaines tentatives de suicide. Il sera systématiquement réanimé. Il n’avait jamais rien rédigé. Une rupture d’anévrisme et un réanimateur compréhensif le feront partir rapidement.
Ma mère a toujours milité dans une association pour une mort dans la dignité. Mon frère et moi étions ses personnes de confiance. Sourde, malvoyante, atteinte d’une maladie neurodégénérative, elle succombera des suites d’une hémorragie cérébrale. Malgré ses directives anticipées, l’aggravation de son état, notre intervention, sans doute trop timide en raison de la charge émotionnelle, le corps médical mettra 21 jours pour décider d’une sédation profonde.
Je ne comprends pas ce que cette longue agonie a pu apporter aux médecins détenteurs du pouvoir. Mes parents auraient été rassurés par une possible aide active à mourir, une porte de sortie qu’ils auraient choisie de prendre ou non. La mort de nos aînés nous fait souvent découvrir les sombres coulisses de la fin de vie, tout au moins nous oblige à les voir. Sans doute pour m’aider dans le deuil, je recherche une action d’accompagnement de nos aînés. Une voisine m’oriente vers une association, Jalmalv, que je quitte au bout de trois mois, ayant la sensation d’avoir été dupée. C’est une association catholique, hostile à toute contradiction, qui se cache derrière une soi-disant laïcité, ayant le soutien local de M. Leonetti, pour qui «la liberté fragilise, la loi protège les plus vulnérables » (Grasse 2017). On est bien loin de la loi de liberté de fin de vie, où le patient éclairé peut décider quand il a assez vécu.
Je découvre l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, à laquelle ma mère adhérait. C’était l’ADMD. Je prends contact avec le délégué pour les Alpes-Maritimes, Jacques Desaunay. Je me sens enfin chez moi. Etant à la retraite, je n’avais plus envie d’imposer une posture de médecin. Je voulais descendre du piédestal où nous avons tendance à siéger, mettre la parole de l’adhérent au centre du débat. Je ne désirais pas mêler ma fonction de médecin et de déléguée. Mais ma formation de médecin est inamovible et ma position, ambiguë. Je cumule donc les fonctions de déléguée et de médecin-conseiller. La tâche de déléguée est une leçon d’humilité, de tolérance et d’humanisme et j’y suis aidée par les adhérents, qui m’ont étonnée par leur joie de vivre, leur sagesse. « La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile. » Hippocrate, sur la complexité de la vie et du soin…