Quelques éléments à propos de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir

Historique !
Le mardi 27 mai, l’Assemblée nationale a voté deux propositions de loi fondant le futur modèle français des soins d’accompagnement et de l’aide à mourir :
- la proposition de loi visant à garantir l’égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs : Adopté à l'unanimité
- la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir : Pour 305 Contre 199
Ces deux textes sont l’aboutissement de très longues années de mobilisation de chacun des militants du droit de mourir dans la dignité et de très longs mois d’un travail acharné depuis le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie en décembre 2022. S’il n’est pas nécessaire de revenir sur le long cheminement de ce qui deviendra un droit individuel légitime, il faut se rappeler que ces tergiversations ont un coût, celui des vies de celles et ceux qui, n’ayant pas eu le temps d’attendre, sont morts dans de mauvaises conditions, dans des souffrances qui auraient pu – qui auraient dû – leur être épargnées ou qui sont partis ailleurs (en Belgique ou en Suisse) ou autrement (dans des morts violentes ou des actes clandestins).
Quelques éléments à propos de la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir.
Ce texte introduit, pour la première fois, l’aide active à mourir dans le code de la santé publique. Un droit strictement encadré qui permettra de prendre en charge en partie – malheureusement, en partie seulement – les personnes qui demandent à abréger leur agonie, que la médecine est impuissante à guérir et qui conservent des souffrances inapaisables.
Le législateur définit le droit à l’aide à mourir qui « consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 1111-12-2 à L. 1111-12-7, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas physiquement en mesure d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier. » Il s’agit donc de la mise en œuvre du suicide assisté et d’une euthanasie d’exception (si une incapacité physique empêche le demandeur de réaliser l’acte lui-même ; sans même qu’ait été définie cette incapacité physique). L’ADMD s’est opposée durant tous les débats au refus du législateur d’autoriser le choix libre entre ces deux formes d’aide à mourir.
Les conditions cumulatives pour accéder à cette aide à mourir sont les suivantes :
1° Être âgée d’au moins dix-huit ans ;
2° Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;
3° Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou terminale ; (L’ADMD a beaucoup travaillé pour supprimer la notion de décès attendu à court ou à moyen terme au profit de la phase avancée ou terminale ; malheureusement, l’engagement du pronostic vital a été maintenu.)
4° Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ; (Il n’y aura pas de demande d’aide active à mourir recevable sur le seul motif de troubles psychiatriques.)
5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. (Malgré de nombreux amendements déposés, les demandes d’aide active à mourir faites par l’intermédiaire de directives anticipées ne seront pas recevables. De même, si des troubles cognitifs viennent altérer la conscience du demandeur après sa demande mais avant la réitération, le demandeur se verra refuser l’aide active à mourir.)
La conjonction de ces cinq critères d’accessibilité fait de ce texte l’un des plus restrictifs qui existent en Europe. Rappelons qu’en Espagne l’euthanasie et le suicide assisté sont autorisés, au libre choix de la personne, et qu’en Belgique des personnes peuvent bénéficier d’une euthanasie lorsqu’elles sont dans un coma irréversible, dès lors qu’elles ont rédigé des déclarations anticipées.
Les députés ont souhaité renforcer la collégialité, avec la réunion physique (à distance, en cas d’impossibilité) d’un deuxième médecin, spécialiste de la pathologie, et d’un auxiliaire-médical ou d’un aide-soignant ; et, éventuellement, d’autres professionnels de santé et de la personne de confiance. Toutefois, la décision d’accéder à la demande est conservée au médecin qui l’a reçue.
Le délit d’entrave – c’était une demande forte de l’ADMD – a été copié sur ce qui existe en matière d’IVG. Trente mille euros d’amende et deux ans d’emprisonnement « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir. » On ne connaît que trop bien, malheureusement, la volonté des militants des associations anti-choix de priver ceux qui pensent différemment de l’exercice de leur droit.
Ce texte, qui a été voulu par le rapporteur général, Olivier Falorni, et par la ministre de la santé, Catherine Vautrin, comme un texte « équilibré » afin d’obtenir le vote le plus large des députés, est éloigné du texte d’origine et des revendications de l’ADMD et, à travers elle, des militants pour le droit de mourir dans la dignité. Il ne répondra assurément pas à toutes les demandes légitimes de patients qui se retrouveront dans les situations les plus difficiles du fait d’une affection grave et incurable. Il est aujourd’hui trop tôt, à la seule lecture du texte voté mardi 27 mai, de savoir quelles personnes seront en mesure de bénéficier de la future loi et quelles personnes ne le seront pas.
La mise en œuvre de cette loi – qui n’est pas attendue avant deux ans – montrera rapidement que la loi française devra être retravaillée et mieux pensée et pourra s’inspirer avec profit des dispositions qui existent notamment en Belgique (la loi a été votée en 2002) ou en Espagne (la loi a été votée en 2021). D’ici là, plusieurs de celles et ceux que nous aimons n’auront toujours pas accès à la liberté et à la dignité, reconnue dans le code de la santé publique en son article L. 1110-5-1 (« le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10 ») et mourront encore dans des conditions difficiles ou bien dans un pays ami, dans une forme d’exil.
Le processus parlementaire est encore long avant que les deux textes votés le mardi 27 mai en première lecture par les députés ne deviennent définitifs. Le Sénat se saisira des textes et, malheureusement, reviendra sans doute largement sur des dispositions travaillées et réfléchies durant de très longues heures pas les députés sur tous les bancs de l’Assemblée nationale pour mettre le patient au cœur de toute décision de fin de vie.
Comme elle l’a toujours fait depuis sa création et, plus encore, depuis la réunion de la Convention citoyenne (2022-2023), l’ADMD défendra un modèle républicain, juste et égalitaire d’accès à une aide active à mourir encadrée et respectant l’ensemble des volontés – défendant une clause de conscience et un délit d’entrave mesuré – à la demande exclusive du patient et sur sa seule décision, y compris formulée par l’intermédiaire de ses directives anticipées.
Plus que jamais, l’ADMD aura besoin de toutes celles et tous ceux qui lui font confiance et lui apportent son soutien.



