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Cessons de caricaturer le débat sur la fin de vie

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Publié le
26 mai 2025
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La loi du 2 février 2016 est un échec. Il suffit de lire le guide d’application de la Haute autorité de santé intitulé « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? » de février 2018 actualisé en janvier 2020, pour comprendre pourquoi cette loi n’a été copiée par aucun pays au monde et pourquoi des Français sont toujours dans l’obligation de partir en Belgique ou en Suisse pour éviter les agonies et les souffrances inapaisables. Ce protocole qui ne concerne que des patients en fin de vie dont le décès est attendu dans les toutes prochaines heures, en provoquant les conditions d’une insuffisance rénale sévère qui durera plusieurs jours (9 jours pour le pauvre Vincent Lambert !), ne pouvait qu’être inapplicable. D’ailleurs, les mêmes qui font mine aujourd’hui de défendre la loi de 2016 (comme la Sfap) étaient vent debout en 2015 en la disqualifiant à priori et vantant les mérites de la loi précédente (loi du 22 avril 2005). Il n’y a pas meilleure définition du conservatisme et de l’immobilisme !

Cessons de caricaturer le débat actuel, donc.

La proposition de loi portée par Olivier Falorni relative au droit à l’aide à mourir ouvrira un droit ; un droit nouveau. Un droit, n’est pas une obligation. Cette loi, au surplus, portera une clause de conscience pour tous les soignants qui pourront refuser de participer – sans l’entraver – à la mise en œuvre de ce droit pour un patient répondant aux critères d’éligibilité qui le demande.

L’aide active à mourir est parfaitement compatible avec les soins palliatifs. 71 % des médecins le reconnaissent (sondage Ifop – avril 2025) ; ces mêmes médecins qui affirment pour 70 % d’entre eux qu’il s’agit bien là d’un soin de fin de vie.

Les médecins sont favorables à l’ouverture de ce droit à hauteur de 74 % d’entre eux (Ifop – avril 2025). Rappelons que 92% de l’ensemble des Français sont favorables à la légalisation de l’euthanasie et 89% sont favorables à la légalisation du suicide assisté (Ifop – mai 2024).

Le texte discuté – et bientôt voté en première lecture à l’Assemblée nationale – sera l’un des plus restrictifs d’Europe. Il ne permettra que le suicide assisté et une exception limitée d’euthanasie (en cas d’incapacité physique avérée du demandeur d’effectuer lui-même le geste de délivrance) quand les Espagnols disposent, eux, du libre choix entre euthanasie et suicide assisté. Ce texte ne permettra pas de demander une aide active à mourir par le biais de ses directives anticipées (qui permettent pourtant, sans réserve, de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès) alors que les Belges, placés dans une situation de coma irréversible, peuvent bénéficier d’une euthanasie s’ils l’ont préalablement demandée par l’intermédiaire d’une déclaration anticipée.

Ce texte ne concerne que les majeurs. La loi de 2016 portée aux nues par les opposants à l’aide active à mourir, elle, s’applique à tous, sans condition d’âge : aujourd’hui, en France, un enfant en fin de vie peut être sédaté jusqu’à son décès.

L’augmentation des moyens en faveur des soins palliatifs ne supprime pas la demande d’aide active à mourir. Cela n’est vrai dans aucun des pays européens qui ont un accès quasi-universel à des soins palliatifs de qualité. Le Comité consultatif national d’éthique (Ccne), en France, dans son avis 139 de septembre 2022, indique que 3 % des personnes placées en soins palliatifs expriment une demande d’euthanasie même quand ceux-ci sont bien menés.

Évidemment, la proposition de loi portée par le député Olivier Falorni, relative au droit à l’aide à mourir, ne permet pas l’euthanasie des personnes possédant un handicap, du seul fait de leur handicap. D’ailleurs, le mot « handicap » ne figure à aucune ligne du texte. Toutefois, il n’exclut pas du champ d’application de la loi une personne atteinte d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé (le patient va mourir !) et qui, par ailleurs, possède un handicap. Les inquiétudes soulevées par certains militants anti-validistes sont légitimes quand on connaît le manque de moyens qu’éprouvent les personnes possédant un handicap, et la société doit se mobiliser pour permettre l’effectivité des soins et des appareillages pour tous. Ce texte place l’autodétermination de la personne au cœur de la procédure – un principe fondamental du combat anti-validiste – et offre un cadre précis et restrictif pour garantir l’éthique.

Et pour finir, comme on l’observe dans les nombreux pays du monde qui ont ouvert ce droit, il n’y aura pas d’hécatombe. Ce n’est pas parce que vous ouvrez un droit que toutes les personnes qui peuvent en bénéficier vont s’en saisir. Sinon, nous aurions 100 % de mariages de couples de même sexe et toutes les femmes avorteraient. Cette théorie est absurde et confirme le contrôle que ses défenseurs, comme les associations anti-choix, veulent exercer sur les corps et les esprits. Toutefois, il y aura un temps d’implémentation durant lequel, année après année et parce que la pratique se répandra (et aussi en proportion du vieillissement de la population et de son accroissement), le nombre d’aides actives à mourir augmentera logiquement. En Belgique, en 2024, les euthanasies ne concernaient seulement que 3,6 % de l’ensemble des décès de l’année.

La France s’honorera, à l’image de ses voisins européens (Pays-Bas, Belgique, Suisse, Luxembourg, Espagne, Portugal, Autriche…) et au-delà (Australie, Canada, Colombie, États-Unis…), de permettre à chacun de décider en conscience de ce qui lui conviendra de faire quand sa vie ne ressemblera plus qu’à une survie, que la médecine se sera déclarée impuissante à le guérir et que ses souffrances, inapaisables, le tortureront.

Les Français qui, dans leur grande majorité, ont accompagné des fins de vie difficiles, qui ont confiance dans leurs médecins puisque ce sont eux qui seront en première ligne, attendent cette loi. Craindre un risque de dérive systémique est une insulte à l’égard des soignants qui ne se transformeront pas, après le 27 mai, en serial euthanasieur.

Jonathan Denis
Président de l’ADMD

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